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Féminisation des métiers du bâtiment : qu’en pensent les architectes ?

Publié le 24 février 2025

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À l’instar d’autres professions, les femmes ne cessent de revendiquer leur place dans le bâtiment. Or le monde de la construction est vaste, les métiers ainsi que les fonctions sont diverses et les réponses aux différentes problématiques sont variées. Dans cet univers qui renvoie majoritairement vers une image masculine, qu’en est-il de l’architecture ? Quelques professionnelles nous donnent leurs avis.
Féminisation des métiers du bâtiment : qu’en pensent les architectes ? - Batiweb

Le métier d’architecte, historiquement, est majoritairement masculin, bien qu’il ait toujours séduit le genre féminin. Pourtant, nombreux sont les non-professionnels capables de citer quelques noms de femmes ayant marqué la profession d’architecte. Un petit détour par l’origine du métier d’architecte et un regard vers l’histoire est nécessaire, pour trouver des personnages tardivement reconnus. 

Un diplôme, parcours multiples, hier…

 

L’une des architectes les plus célèbres peu connue par le grand public est Marion Mahony Griffin, née en 1871, dont la carrière comprend d’importantes collaborations avec Frank Lloyd Wright et avec Walter Burley Griffin, un architecte qu’elle a ensuite épousé. Dans l’exercice de son métier, la femme de l’art a arpenté trois continents et exercé l’architecture pendant plus de six décennies. 

La première femme française à être diplômée en architecture à l’École des Beaux-Arts en 1923 est Jeanne Besson-Surugue qui intègre la Société des Architectes Diplômés par le Gouvernement (DPLG) en 1924 et quitte son pays natal pour exercer à l’étranger dès 1925. Elle travaille à La Havane, à Cuba et à Phnom Penh (Cambodge), en tant qu’architecte des travaux publics. 

Par ailleurs, un autre nom attire notre attention, Geneviève Dreyfus-Sée, diplômée de l’École des Beaux-Arts en 1934 qui, une fois ses études terminées, s’adonne à l’écriture. Elle rédige ainsi des articles, sous un pseudonyme, pour plusieurs revues d’architecture ainsi que des livres historiques et culturels. À l’instar de Marion Tournon-Branly qui signe une multitude d’articles pour la revue Maisons et Jardins, enseigne l’architecture et ouvre seule son agence d’architecture pour réaliser plusieurs projets privés mais aussi publics. 

D’autres ont travaillé en duo comme la designer et architecte Charlotte Perriand, qui a réalisé plusieurs œuvres avec Le Corbusier. 

Les noms de ces « architectes de l’ombre » ont mis du temps à se faire connaître. Il s’agit de parcours variés pour une profession où la parité est loin d’être obtenue.

Jusqu’à nos jours…

 

Selon les chiffres de l’Ordre des architectes, en France, parmi les inscrits au tableau de l’Ordre, la population demeure majoritairement masculine et ceci malgré une croissance de 16 points entre les années 2000 et 2021. Cependant, un détail important nous interpelle, 49,7 % parmi les architectes de moins de 35 ans et la moitié des nouveaux inscrits à l'Ordre sont des femmes. 

Ce qui explique probablement un changement de paradigme. Majoritaires dans les Écoles Nationales Supérieures d’Architecture (ENSA), les femmes se font de plus en plus rares quand il s’agit de diriger seule une agence. Même constat concernant les distinctions, les jurys et l’enseignement des projets de l’architecture. 

Plusieurs questions nous taraudent : Que se passe-t-il entre la sortie des Écoles d’Architecture et l’exercice du métier d’architecte ? Où sont les femmes ? Des raisons particulières pour qu’elles choisissent le salariat, la recherche, le journalisme ou d’autres voies parallèles ? Les cas de figures sont nombreux, les parcours sont multiples, mais le constat reste le même. Faisons le tour de quelques professionnelles qui gravitent autour du métier d’architecte.

À travers sa thèse, l’architecte doctorante, Margotte Lamouroux cherche à comprendre le rôle des architectes dans le développement de la filière bois-construction. Depuis sa sortie d’École d’Architecture, la femme de l’art n’a pas exercé la maîtrise d'oeuvre, elle a préféré s’orienter vers d’abord le journalisme puis la recherche. Aujourd’hui, la doctorante anime des ateliers autour de l’architecture bois, participe à des colloques scientifiques et part en voyage de recherche pour mieux orienter sa thèse. Margotte Lamouroux fait partie de ces femmes architectes qui, par choix, se sont éloignées de la maîtrise d'oeuvre.  

Magali Chupeau - alias Lili l’archi - est Architecte DPLG. Elle a exercé 15 années en agence avant de se spécialiser dans l’illustration et le graphisme. Formée à l’École d’architecture de Rennes, la femme de l’art est actuellement salariée dans une agence d’architecture, mais aussi illustratrice, blogueuse et chroniqueuse sur la chaîne locale TV Tours, où elle parle de design et d’architecture. L’architecte a même participé, via ses dessins, à une bande dessinée intitulée « Ma grossesse, tout le monde s’en mêle ». Scénarisé par les autrices Sandra Camilleri et Loudia Gentil, l’ouvrage pose en héroïne une architecte. 

Maman de deux filles, Magali Chupeau reconnaît, qu’à l’époque où elle a commencé l’exercice du métier d’architecte, la présence des femmes sur les chantiers était moins fréquente qu’aujourd’hui. 

Laure Saunier est Architecte DPLG. Après avoir travaillé plus de dix ans dans des agences d’architecture de renom comme Rudy Ricciotti, Anne Demians, Manuelle Gautrand, Moatti Rivière, elle a fondé sa propre agence LS architecture. L’architecte, qui passe la plupart de son temps sur les chantiers, souligne qu’après avoir œuvré sur des projets sublimes, elle ne pouvait que fonder sa propre agence même si c’était sans commande préalable. À une époque où un grand nombre de collègues choisissaient le salariat ainsi que d’autres chemins alternatifs, la femme de l’art s’est lancée toute seule dans l’aventure. Elle concède qu’elle a fait face à de multiples difficultés. Malgré tout, elle continue à exercer son métier et elle en est fière.

Roueïda Ayache est architecte associée d'Architecture-Studio depuis 2001 et participe à l'élaboration de l'ensemble des projets de l'agence. La praticienne qui a toujours été salariée, a démarré sa carrière sur les chantiers. Son premier concernait une caserne de pompier à Paris, visée par une réhabilitation lourde en site occupé qu’elle a suivi. Puis, elle participe à un grand projet en Chine, où la conductrice de chantier était également une femme. 

Seule associée femme de 2001 jusqu’à 2009, l’architecte croit à l’entente et à la fraternité. L’agence étant formée de professionnels de provenances différentes, il y existe une forme de complémentarité, qui est loin de déplaire à l’architecte. Néanmoins, étant une femme, elle se dit être plus attentive à certains détails concernant les finitions ou le côté pratique de l’architecture, mais cela reste marginal. 

Au sein d’Architecture-Studio, l’avis de Roueïda Ayache compte tout autant que l’avis des autres associés, les projets de l’agence sont conçus en commun et les associés fondateurs de l’agence suivent avec attention les statistiques où la parité est respectée. Aujourd’hui, la femme de l’art continue à suivre, avec la même ferveur, des projets d’envergure en Egypte ou encore en Arabie-Saoudite.

BD « Ma grossesse, tout le monde s’en mêle » - éditions Des Ronds dans l’O - Scénario : Sandra CAMILLIERI & Loudia GENTIL - Illustrations : Magali CHUPEAU-LEGOFF (Lili l’archi)
BD « Ma grossesse, tout le monde s’en mêle » - éditions Des Ronds dans l’O - Scénario : Sandra CAMILLIERI & Loudia GENTIL - Illustrations : Magali CHUPEAU-LEGOFF (Lili l’archi)

L’architecte au féminin est une architecte tout court

 

Christine Leconte, directrice de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Belleville (ENSAPB), qui a aussi été enseignante, confirme que dans les écoles d’architecture, il existe une très forte féminisation des candidatures, s'accentuant depuis des années. 

« Aujourd'hui nous avons une proportion de 70 % de femmes contre 30 % d'hommes en première année de licence. C'est un déséquilibre évident qui est inscrit dans toute la scolarité, dès l'entrée à l’école d’architecture jusqu’au master et même au-delà concernant les diplômes post-master. Cependant les chiffres s’équilibrent lors de la HMONP (Habilitation à la Maîtrise d’Œuvre en son Nom Propre). Selon ce constat, plus de femmes se tournent vers d’autres métiers (maîtrise d’ouvrage, conseil, etc.) sans avoir leur titre de HMONP, qui leur permettra plus tard d’exercer. En HMONP, en 2024-2025, nous avons 52 % de femmes et 48 % d'hommes et c'est plus à l'équilibre. Et en 2023, pour la première fois, davantage de femmes que d’hommes sont entrées à l’Ordre (644 femmes et 605 hommes). La différence existe et peut même être visible chez les boursiers, où les femmes sont à 66 % ».

L’architecte explique qu’au bout de quelques années « une multitude de femmes à l'époque de la construction de la famille, bifurquent pour pouvoir soit reprendre un projet d'études, soit pour s’occuper de leur famille, soit parce que les horaires d'agence sont trop compliqués ». 

Les femmes mettent ainsi entre parenthèses leur carrière potentielle comme architecte maître-d'œuvre, certaines de manière très volontaire, mais aussi parce que c'est difficilement conciliable avec la vie de famille. 

Pour terminer, l’architecte précise qu’au sein des écoles il existe peu de figures féminines.  La féminisation du corps enseignant paraît une évidence, car les proportions sont quasiment inversées. Pour ce qui est des titulaires, nous pouvons trouver 37 % de femmes contre 63 % d'hommes. La solution serait d’inciter les femmes d’abord vers le doctorat puis vers l’enseignement. 

À ce propos, Christine Leconte souligne que l’école a, cette année, recruté deux jeunes architectes femmes, en TPCAU (Théories et Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine). Il serait intéressant de savoir si la présence des femmes architectes change les méthodes d’enseignement ? La réponse de Christine Leconte est claire : « Les méthodes d'enseignement sont sans doute un peu différentes, les femmes ont des façons de se positionner très complémentaires et qui s'accordent aux problématiques actuelles, il faut de la diversité ».

Aujourd’hui, les jeunes entrent dans les écoles d’architecture dans le but de devenir architecte. « Je pense qu'il y a une vraie volonté d’être partie prenante d’une discipline qui s'inscrit dans la fabrication du monde de demain. Les étudiantes sont les premières à demander à travailler sur le terrain, à être proche de la matière, il n'y a pas d'un côté des penseurs qui seraient les femmes, dans la recherche, et de l'autre côté, les hommes qui mettraient les mains dans la terre ». 

Pour étayer ses paroles, la directrice de l’ENSAPB, cite par exemple l’architecte Amélie Fontaine, qui est à la fois enseignante et praticienne. L’intéressée propose des modes constructifs en dialogue avec le sol, le paysage ainsi que le climat. Son agence développe notamment la construction en essences de bois régionales (chêne, peuplier, frêne, hêtre, aulne, châtaigner), l'isolation en paille et en herbe, l’utilisation de l’argile du sous-sol en murs ou enduits. 

Christine Leconte souligne par ailleurs la présence des femmes architectes dans les collectifs. En effet, aujourd’hui, une multitude d’architectes ne s’affirmaient plus à travers le nom de leur agence, mais ils œuvrent à travers des groupements, des associations ainsi qu’à plusieurs sous la houlette d’une dénomination générique, qui s’émancipe d’une signature unique. Et la présence des femmes dans de tels collectifs est croissante. 

Après avoir été présidente du Conseil Régional de l’Ordre de l’Architecture Île-De-France, Christine Leconte a été la présidente de la CNOA (Conseil Nationale de l’Ordre de l’Architecture) elle admet que cela a demandé un investissement conséquent. Elle souligne que le fait d'être une femme n'a pas toujours été simple, mais elle y est arrivée avec une grande témérité. La femme de l’art insiste sur le fait qu’une architecte n’a pas besoin de mettre en avant sa féminité pour avoir un titre ou un prix. Par ailleurs, la praticienne trouve qu’on n'aide pas assez les femmes désireuses de fonder leur agence. Au lieu d’un prix spécifique pour les femmes architectes, ne serait-il pas plus judicieux voire utile d’offrir des aides aux femmes architectes qui débutent leur activité ou les mères de famille, voire les accompagner plus largement dans les moments où elles en ont le plus besoin ? Il est permis de le penser.

Christine Leconte précise par ailleurs : « Nous avons une profession qui se féminise et qu'il ne faudrait pas qu'elle se féminise parce qu'il y aurait une paupérisation ». Le message que l’architecte urbaniste aimerait véhiculer, c'est de « pouvoir pousser à l'entrepreneuriat des femmes et les accompagner. Il faudrait qu'on donne aussi plus de figures féminines à nos jeunes architectes pour qu'elles aient le courage de se lancer ».

La femme architecte est une architecte comme les autres, il suffit de l’accepter telle quelle, voire de l’épauler.

Sipane Hoh 

Photo de Une : BD « Ma grossesse, tout le monde s’en mêle » - éditions Des Ronds dans l’O - Scénario : Sandra CAMILLIERI & Loudia GENTIL - Illustrations : Magali CHUPEAU-LEGOFF (Lili l’archi)

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