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Des murs de la mort à ceux de la vie

Publié le 08 juin 2004

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Il en va des lieux comme des hommes. Ils vivent quelques fois d’étranges destins où, quand ils semblent condamnés à un sort funeste, la vie les rattrape et leur donne une deuxième chance. Et là, souvent, c’est un sublime rayonnement. C’est le cas du 104 rue d’Aubervilliers à Paris.
Des murs de la mort à ceux de la vie  - Batiweb
Au XIIIe siècle apparut à Paris la corporation des crieurs-jurés. Elle fut à la fois l'ancêtre de la profession de publicitaire et celle de la profession d'entrepreneur de pompes funèbres. Les crieurs-jurés criaient dans les rues de Paris des annonces publicitaires, mais aussi l'annonce des décès et des sépultures. Ils se trouvaient ainsi très bien placés pour offrir en outre les services (non religieux) et les fournitures nécessaires aux funérailles. Leur métier s'est très vite révélé rentable.

Plus tard, au XIVe siècle, lors de la Peste noire, apparurent les confréries. Elles avaient pour mission d'accompagner les plus pauvres et de les mettre en terre. Le domaine funéraire fut rapidement lié aux "fabriques". Une fabrique est alors une institution qui gère les biens et les intérêts matériels d'une paroisse. Elle est dirigée par un conseil composé de marguilliers. Le rôle des paroisses, et donc des fabriques, progresse considérablement entre le XIIIe et le XVIIIe siècle. En effet, l'Eglise revendique alors le droit exclusif d'inhumer, d'autant qu'elle possède le monopole des rites religieux et qu'elle est propriétaire des cimetières.

Vint ensuite la révolution. Ceux qui possédaient auparavant le matériel funéraire continuèrent discrètement leur activité, concurrencés par de nouveaux entrepreneurs privés. Pour mettre un peu d'ordre dans tout cela, le Directoire établit le principe d'un monopole en faveur des communes. La loi du 28 décembre 1904, à l'instar d'autres mesures annonçant la séparation de l'Eglise et de l'Etat (1905), établit le monopole des communes, lesquelles pouvaient l'exercer, soit en régie, soit, ce qui sera le cas le plus fréquent, en le concédant à une entreprise privée.

A Paris, le syndicat des fabriques des églises et des consistoires, chargés à l'époque des funérailles, décidait à la fin des années 1860 de centraliser le service des inhumations. Il mobilisa pour cela de vastes bâtiments servant à l'époque d'abattoirs. Ceux-ci préfiguraient alors les installations qui naquirent peu après porte de la villette. Les lieux, vastes et peu éloignés des cimetières se pliaient bien à cette activité. Anciens territoires de l'église, ils avaient d'ailleurs plus ou moins été eux-mêmes le site d'un fort vieux cimetière disparu dans la nuit des temps. De tous temps, même lors de l'activité intense d'abattage, le site était emprunt d'une ambiance qui se prêtait bien à une activité mortuaire.

La reconstruction du site fut alors confiée aux architectes Delbarre et Godon. Ils y édifièrent 25 000 m2 de bâtiments ordonnés autour d'une cour centrale. L'ensemble ressemblait étrangement à une gare, avec l'ambiance funéraire en plus. Il faut dire que construire une gare était alors un ouvrage que tout architecte rêvait d'édifier, ceci expliquant peut-être cela. En 1870 les murs du 104 abritaient donc un "magasin voûté pouvant contenir 6.000 cercueils, des remises à corbillards, des écuries et tous les commodités des métiers funéraires. Le site connut une activité funéraire intense pendant un siècle, allant même jusqu'à abriter lors des grandes crises des centaines de corps en transit. Etant le pôle central de tous ce qui concernait la mort à Paris, la vie commerçante ne se précipitât jamais dans sa périphérie.

Les changements de mœurs conduisirent ces 25 000 m2 de bâtiments vers un abandon progressif qui fut total dans le dernier tiers du XXème siècle. Bien cachés derrières leurs façades, les vastes halls formèrent alors un sinistre no man's land au coeur d'un des arrondissements les plus peuplés de la capitale. Ce désert architectural aurait perduré si le Conseil municipal de Paris et son maire Bertrand Delanoë, n'avaient décidé en 2003 d'en faire un haut lieu de la vie culturelle parisienne.

Confié récemment au cabinet Novembre, ce site exceptionnel va donc après deux siècles passés sous l'égide de la mort devenir le siège d'une vie intense. Il offrira aux artistes, dans des domaines variés, des espaces de travail et de production adaptés aux exigences contemporaines de la création. L'ambition de la ville est de générer un bouillonnement culturel dans ce quartier du Nord-Est parisien. Le "104" abritera les disciplines les plus diverses des arts plastiques aux arts du spectacle (peinture, sculpture, théâtre, danse, costumes, décors) mais aussi des cafés, des restaurants, des commerces.
Le 104 rue d'Aubervilliers illustre à sa façon ce pouvoir quasi divin qui consiste, en dépit d'une histoire quelques fois contraire, à changer le destin des lieux pour, comme c'est le cas ici, de leur redonner une nouvelle vie. Il s'agit là sans doute d'une action parmi les plus gratifiantes (car elles sont souvent rares) du pouvoir communal…

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