Découverte, à Beaubourg, d'un reconstructeur français moderne...
«Il est l'initiateur de la préfabrication modulaire béton», explique Frédéric Migayrou, commissaire de cette exposition instructive. «Il reste dans une logique constructive, n'affirme pas un style, il met en relation construction et artisanat, ses chantiers sont des expériences. Il ne revendique pas le mythe de l'unité, ni celle de la forme ni celle de la structure, il sait être dans la discontinuité.»
L'exposition donne très vite l'envie de percer le mystère de cet homme qui s'est mis en retrait, même s'il a beaucoup écrit, et qui traverse cinquante ans de l'histoire française du XXe siècle, en exprimant, à travers divers équipements sociaux, différents moments clés.
Villas sans concessions
Abraham réalise d'abord des maison privées dans sa Bretagne natale, où il applique déjà ses préceptes modernes. Que l'on retrouve sans plus aucun régionialisme dans ses villas pour des particuliers aisés des années 20, assez abruptes, sans décors. Ses cubes sont animés et éclairés par des fenêtres d'angles, comme la villa Thérèse à Vaucresson, dans les Hauts-de-Seine. Seules des couleurs vives, l'ocre rouge à l'époque, rattrapaient ses plastiques brutalistes sans concessions.
Sanatoriums discontinus
Témoignant de la politique de santé des années 30 en France, Abraham est aussi l'homme des sanatoriums. C'est celui de Martel-de-Janville, en Haute-Savoie, construit pour le ministère de la Guerre, où culminent tous ses principes. Asymétrie, ruptures, dilatations, chapelle perchée au troisème étage, puits de lumières, cet immense vaisseau en béton de 120 mètres de long jouait là encore sur sa façade d'un ocre rouge tranchant sur le paysage montagneux et inventait une hybridation d'éléments très maitrisée. Chaque chambre était équipés par des meuble parfaits de Jean Prouvé.
Reconstruction constructive
Cet architecte atypique est encore l'homme de la reconstruction d'après la guerre de 39-45.Là, il prône une industrialisation «modérée», qu'il expérimente particulièrement dans le centre d' Orléans détruit, en 1946. Dans toute la France, il est le maître d'oeuvre de nombreux groupes scolaires, de postes, de la tour herzienne de Meudon, et tout le programme de relais pour la télévision naissante en 1951
Se plonger dans le catalogue, somme précieuse, permet de voir en détail son art du rationnalisme «composé», de ses dessins rigoureux très colorés aux grands arbalétriers de la chapelle lumineuse de Martel-de-Janville. Abraham écrit: «L'architecte s'interdit de puiser dans l'arsenal formidable du pastiche, il construit plus qu'il ne décore. Il ne lui reste, comme ressource, pour faire oeuvre d'artiste, que la justesse des rapports, l'accord des couleurs et la pureté des galbes. La nouvelle architecture se reconnaît à ses intentions classiques.»
Pour vérifier tout cela, pour se réconcilier (ou pas) avec cette architecture moderne parfois austère, mal aimée, toujours coupable d'avoir engendré plus tard un bétonnage monstrueux, cette exposition permettra au voyageur épris d'architecture, de Paris à Orléans, de faire un tour de ses bâtiments, toujours existants. «Cette exposition entend susciter la recherche sur Abraham, poursuit Migayrou. On a même dit qu'il était collaborateur. C'est sans doute faux. Il faut le retrouver, le réévaluer.»
«Pol Abraham», centre Pompidou, galerie du musée, niveau 4, exposition jusqu'au 28 juin. 01 44 78 12 33. www.centrepompidou.fr