A Nice, la gare du Sud échappe de justesse à un méchant démontage
Il faut dire qu’à Nice, face à l’âpreté de la spéculation foncière, un bâtiment inoccupé, même s’il est public, n’échappe pas aux convoitises, y compris celles des tenants d’un bétonnage public intensif. Or, depuis décembre 1991, après un siècle de bons et loyaux services, la gare Sud forme un magnifique monument à la gloire de l’abandon. Un véritable chef d’œuvre de l’architecture ferroviaire du siècle de l’industrie triomphante de la nation. Une gare qui pourtant symbolise dans chacune de ses pierres l’une des plus belle page de l’histoire sociale provençale.
La construction de cet ouvrage, commencée en 1890, dura deux ans. En 1892 les premiers trains quittèrent Nice en direction de Grasse et de Puget-Théniers. Il fallut cependant attendre 1911, pour que la jonction de Puget vers Annot, St André et Digne soit à son tour réalisée. Porte d'entrée niçoise d'un vaste réseau de 350 Km conduisant vers la Haute Provence, le Dauphiné, le Haut Var et le bassin de la Durance, la gare édifiée par Prosper Bobin forme un bâtiment monumental. Cet ensemble de 42,50m de large et de 12,50m de profondeur, est formé d’un élément central ajouré par une baie semi-circulaire, lui-même encadré de deux ailes avec des tourelles d'angles.
Bodin l’a alternativement habillé de briques rouges et jaunes, de chaînages de pierres et de motifs de céramique. Une conjugaison habile qui donne à cette façade, rythmée par une colonnade et rehaussée d’un parvis à effet polychrome très harmonieux. L’architecte a su réunir le sens de l'élégance à celui de l'économie. L’ensemble, malgré ses imposantes dimensions, présente un néo-classicisme harmonieux ponctué de touches singulières telle que sa gracieuse marquise métallique, pièce d’exception opportunément récupérée à l’occasion du démontage de l'exposition universelle de Paris en 1889.
Reliée avec les autres réseaux niçois, les Tramways de Nice et du Littoral et le fameux PLM (Paris Lyon Méditerranée), la gare du Sud fut longtemps un centre d'échanges complexes. Elle relayait le charbon du Pays de Galles qui, débarqué au port de Nice, était conduit en tramway puis en train jusqu'à la centrale thermique de Lingostière. Venant de l’arrière pays, les moutons des Basses Alpes, le bois de la Tinée, les carrelages de Salernes, le lait de la Vésubie et les blettes de la plaine du Var trouvaient grâce à elle un débouché fructueux sur le marché niçois.
Après la dernière guerre, durant laquelle la ligne du Sud joua un rôle majeur dans le ravitaillement de la cité côtière, ces échanges disparurent les uns après les autres. La ligne de Meyrargues détruite par les combats ne se releva pas. Pour les politiciens sans vision et les spéculateurs, c'en était fini de la ligne entre Nice et Digne.
La gare du Sud fut donc abandonnée un soir de décembre 1991 au profit d’un nouveau terminus. La démolition de l’ouvrage devait laisser place à un projet immobilier, dont les profits devaient permettre la modernisation des autres structures ferroviaires. C’était sans compter sur la concurrence des candidats à la promotion et sur les conflits d’intérêts dont Nice fut si souvent le théâtre. Un charivari façon Côte d’Azur où finalement les promoteurs rivaux ne purent jamais être départagés. Bien des années plus tard, après avoir laissé le superbe bâtiment se dégrader, sans autre entretien que le démantèlement de la verrière et des huisseries, l'ensemble a été vendu en avril 2000 par l'Etat à la ville de Nice. Celle-ci, faute de mieux, envisageait alors de réaliser sur son terrain une nouvelle mairie en dépit des interventions véhémentes des défenseurs du patrimoine niçois. L'architecte Pierre Louis Falocci fut choisi pour mener le projet.
Pierre Louis Falocci défend depuis cette date un projet de refonte complète du quartier Libération-Malausséna, «un véritable projet urbain à dix ans qui va redynamiser et embellir toute cette partie de Nice et pour lequel rien ne justifie de conserver la façade de la Gare du Sud», façade qu’il qualifie d’ailleurs de décor de Cinecitta. Dans la tourmente annoncée, sous la pression grandissante des Niçois, la gare fut quand même de justesse classée monument historique par la ministre Catherine Tasca. Néanmoins, bien que classée mais décidément dérangeante, le Maire actuel, Jacques Peyrat, obtint en définitive de son conseil et des services de l’Etat, la décision de la faire démonter et déménager. Décision entérinée par l’ancien Ministre, Jean-Jacques Aillagon.
C’était sans compter sur la colère des Niçois de souche qui, toutes couleurs politiques confondues, viennent enfin d’obtenir de l’actuel Ministre de la Culture la garantie que la valeureuse gare du Sud ne bougerait pas. Le Ministre propose aujourd’hui au Maire de Nice de constituer un groupe de travail chargé d'imaginer des solutions conciliant impératifs d'aménagement urbains, création architecturale et conservation du patrimoine. Il s’engage par ailleurs, chose rare, à subventionner à hauteur de 40% les travaux de restauration de la gare.
Cette décision est un rude coup porté à une équipe municipale qui comptait bien sur la disparition de cet inutile témoin de l'architecture ferroviaire rayonnante pour faire table rase du passé et ouvrir le quartier à un vaste chantier. En Provence comme ailleurs, les élus aiment laisser à l’histoire l’empreinte de leur passage. A Nice, dans une ville si peu habituée à fédérer les opinions, la démocratie populaire vient de démontrer qu’elle n’est pas, à l’instar de la gare du Sud, librement démontable.