Le chauffage électrique détrôné par le gaz
Jusqu’à très récemment, le secteur de la construction privilégiait le chauffage électrique, qui équipait près de 70% des logements neufs (en 2008). La tendance s’est inversée courant 2010 et près de 60% des logements construits l'an dernier ont été équipés au gaz indique RTE dans son bilan prévisionnel. Ces données tordent le coup à une idée répandue selon laquelle les logements neufs seraient toujours équipés massivement en radiateurs électriques, qui ont longtemps prévalu en France. La chute de la part de marché du chauffage électrique dans le neuf, qui est descendue à près de 40 % en 2011, un niveau plus bas que celui de 2001, devrait s’accélérer dans les prochaines années.
La RT 2012 avantageuse au profit du gaz ?
Cette tendance est le résultat d’une anticipation de la nouvelle réglementation pour améliorer la performance énergétique des bâtiments, la RT 2012. Entrée en vigueur le 1er juillet 2011 pour le secteur tertiaire et applicable à partir du 1er janvier 2013 pour le secteur résidentiel, la nouvelle réglementation thermique a eu d’ores et déjà, par anticipation, un très net effet à la baisse sur les parts de marché du chauffage électrique dans la construction neuve, car elle conduit à une modification en profondeur de la structure de la consommation. Les exigences de la RT 2012 s’articulent autour de trois coefficients permettant de contrôler le besoin bioclimatique du logement, le confort d’été et la consommation d’énergie primaire.
La prise en compte de la consommation d’énergie primaire, et non de la consommation d’énergie finale dans la RT 2012 confère au gaz un avantage compétitif par rapport à l’électricité selon une étude de GRTgaz et Sia Conseil. « Bien que ces coefficients soient relativement conformes à la réalité (pour le gaz et le fioul, on omet quand même toute l’énergie mobilisée en amont de la mise à disposition et nécessaire au transport), l’usage principal de l’électricité dans une construction neuve se voit nettement condamné » précise Sia Conseil. « Dans ce cas, la consommation d’énergie par l’utilisateur ne devra pas dépasser 19,3 kWh/m2.an tandis que les convecteurs électriques sont le moyen de chauffage qui consomme le plus d’énergie actuellement » conclut le cabinet de conseil.
D'autres sources d'énergie émergent
Néanmoins, la montée en puissance du chauffage électrique devient de plus en plus problématique pour notre système électrique, qui rencontre de nombreux problèmes en hiver lors de pointes « record ». L'étude souligne que ce recours accru au chauffage au gaz accroît la consommation de gaz naturel (qui avait elle aussi battu des records en France le mois dernier), mais relève que les propriétés physiques et les capacités de stockage du gaz naturel permettent de gérer cette pointe sans difficulté. En effet, une diminution ou plutôt un arrêt de la montée en puissance du chauffage électrique éviterait donc un surdimensionnement du système électrique responsable d’émissions fortes de CO2.
Il est donc plus que probable que cette tendance se confirme pour les prochaines années, ce qui pourrait soulager à la fois le système électrique, mais aussi détendre le niveau d’utilisation des infrastructures gazières. Le recours à la biomasse, aux réseaux de chaleur et à la géothermie devrait également augmenter dans les prochaines années aux vues de leurs performances énergétiques et environnementales.
Interview de Thierry de Roquemaurel, Directeur Général du GIFAM* Quelle est la position du GIFAM quant à la place de l'électrique dans la réglementation ? Nous avons déposé un recours en décembre 2010. La loi Grenelle est utile dans son principe. Nous avons même participé aux travaux auxquels nous avions été conviés. Ses objectifs étaient louables : parvenir à un équilibre du bouquet énergétique, avec une réduction de la consommation en énergie et des émissions de CO2 et une augmentation de la part d'énergies renouvelables. Et ce afin de préserver l'indépendance énergétique de la France. Or ces objectifs ont été déviés car la loi a été traduite en décrets favorisant une réglementation thermique contraire à l'esprit du Grenelle. De plus, le gaz est plébiscité par les moteurs de calcul de la RT 2012, de même que les solutions plus émettrices en CO2, ce qui est contraire à l'indépendance énergétique recherchée. Ces choix ne favorisent pas non plus le développement des énergies renouvelables. Le BBC, le logement RT 2012, est un logement équipé d'une chaudière murale gaz. Pourquoi à votre avis la RT 2012 favorise-t-elle le chauffage au gaz ? A cause du lobbying actif des promoteurs du gaz, et de ceux qui ont pu enfin se payer la tête du nucléaire. Au passage, constatons ensemble que les mêmes personnes peuvent à la fois promouvoir le véhicule électrique – pour réduire la consommation d'essence – et militer pour le remplacement de l'électrique par du gaz, c'est un paradoxe ! Si le gaz a pris le dessus, c'est à cause du fameux coefficient de conversion 2,58, qui est vieux de quarante ans ! Celui-ci stipulait à l'époque que pour fabriquer 1 kWh d'électricité il fallait en utiliser 2,58. C'était à l'époque des centrales à charbon et il n'a pas été révisé depuis... C'est un sujet de plus en plus polémique et cela en arrangeait certains. De même avoir du gaz à la maison demande beaucoup d'actions qui sont consommatrices d'énergie. La RT 2012 n'a pas su contrer ce biais-là. Il faut savoir que plus un bâtiment est isolé plus il a besoin d'un mode de chauffage fin et réactif, léger. Et pour cela la solution est l'électrique. Au dixième de degré près il est possible d'assurer une gestion de chaque pièce, avec des appareils précis et réactifs. Le gaz est une gestion centralisée, très inertique et qui n'a pas cette finesse. Il est difficile d'être entendu dans un monde refusant d'entendre. Nous attendons plus de sérénité pour débattre du sujet. Et nous attendons que le Conseil d’État prenne sa décision dans les semaines. |
Laurent Perrin & Bruno Poulard