Concilier handicap et grand âge dans le logement : quels défis ?
Avec l’entrée en vigueur de MaPrimeAdapt’ au mois de janvier 2024, c’est une nouvelle porte qui s’ouvre pour la rénovation des logements. Une porte plus accueillante envers les séniors mais aussi pour les personnes en perte d’autonomie, incluant ainsi celles en fauteuil roulant.
Depuis l’application de la loi du 11 février 2005, les propriétaires-bailleurs de logements doivent assurer l’accessibilité des PMR et personnes âgées. Mais les aménagements pour chacun de ces modes de vie sont-ils compatibles dans un logement ? En particulier en rénovation, démarche financée par l’aide MaPrimeAdapt’ ?
La domotique, pratique aussi bien pour le grand âge que le handicap
S’il existe une installation qui met ces deux catégories d’habitants d’accord, c’est la domotique, notamment « pour l’ouverture de volets ou des portails. La seule chose qui pourra varier, c'est la hauteur des prises et interrupteurs qui est essentielle pour le handicap, qui ne l'est pas forcément pour une personne âgée. Car celle-ci peut quand même un peu se baisser ou lever le bras pour appuyer sur un bouton », développe Jean-Philippe Arnoux, directeur Silver Économie et Accessibilité chez Saint-Gobain Distribution Bâtiment (SGDB) France.
Et de poursuivre : « La domotique d'éclairage, c'est celle que je préfère. Ce qui est un confort d'usage pour la personne handicapée est un élément de sécurité pour une personne âgée. Par exemple, j'automatise l'éclairage dans le jardin, cela va me permettre de voir des obstacles. Tout ce qui est domotique, quelle qu'elle soit, amènera du confort d'usage ou de la sécurité aux deux ».
Autre type d’installation pratique pour le grand âge, comme le handicap, et « qui ne génèrent pas forcément des travaux » selon M. Arnoux : « l’accessorisation ou simplement du balisage, comme poser des scotchs fluorescents près des interrupteurs pour créer un contraste visuel ».
Il insiste également sur la nécessité, pour une personne en fauteuil roulant comme pour les séniors, d’installer des points d’appui (barres, etc.), notamment dans les sanitaires. « Il faut aussi bien travailler le contraste visuel, puisqu’à partir d'un certain âge, la vue baisse ou un type de handicap visuel - de type DMLA, etc. - se manifeste. Donc, il faudra prendre des points d'appui colorés sur des murs clairs », abonde-t-il.
Les sanitaires, un lieu où il est périlleux de s’adapter aux deux
D’autant que, selon Jean-Philippe Arnoux : « là où commencent vraiment les subtilités, c'est dans la salle de bains et dans les toilettes ».
« La norme handicap [dans le neuf, NLDR] fixe clairement la taille de la salle de bains, le positionnement des équipements et notamment le cercle de giration d'1m50, pour permettre à une personne en fauteuil roulant de pouvoir effectuer une giration complète dans sa salle de bains, et d'accéder à tous les appareils sanitaires », expose l’expert silver économie et accessibilité de SGDB France. Or, trop d'espace peut devenir un terrain miné pour les personnes âgées, qui ne sont que 6 % à finir leur vie en fauteuil roulant. « Et généralement quand elles en sont à ce stade, elles ne bougent pas forcément toute seule ou elles sont voire même en EHPAD », précise M. Arnoux.
« Cela veut dire que 94 % finissent sur leurs deux jambes, peut-être avec une troisième ou une quatrième jambe, une béquille, une canne ou un déambulateur. Mais elles peuvent se mouvoir et c'est même recommandé qu'elles continuent à faire de l'exercice. Le problème, c'est que si une personne âgée n'a pas sa canne et qu'elle se retrouve dans une salle de bains handicapée qui est par définition très grande, elle voit augmenter son risque de chute », décrypte-t-il.
Sans compter la douche zéro-ressaut, une norme handicap instaurée par la loi ELAN de 2019 et obligatoire depuis 2021. « Il s’agit d’une douche à l’italienne classique, avec une taille minimum de bac de douche de 120 par 90 cm, qui correspond peu ou prou à la taille d’usage d’un fauteuil standard », nous rappelle Jean-Philippe Arnoux. « Après une douche zéro-ressaut, c’est toujours mieux qu'une douche avec une marche », pour les séniors, concède-t-il, bien que : « les ergothérapeutes admettent qu'une personne âgée qui tient sur ses deux jambes, du moment qu'elle a un point d'appui à l'entrée de la douche et qu'elle peut se tenir pour monter, peut franchir une marche de 11 à 12 cm maximum ».
Autre point délicat : les toilettes, notamment les toilettes suspendues, où la hauteur d’assise est normée pour les personnes en fauteuil roulant à environ 50 cm, contre une hauteur d’assise de 40 cm moyenne, appliquée jusqu'entre les années 1970 et 1990. Mais, « c’est impossible de normer une population de personnes âgées qui ont chacune une taille, un poids, une envergure différente », compare M. Arnoux. Les séniors de la génération du baby boom - nés entre les années 1940-1950 - ont une taille moyenne d’1m50-1m60 pour les femmes et d’1m60-1m70 pour les hommes. Chez les jeunes générations - c’est-à-dire les futurs séniors - les moyennes grimpent respectivement entre 1m70 et 1m80 et entre 1m80 et 1m90.
« Au niveau de la salle de bains, une chose par contre qui est commune aux peronnses handicapée et aux personnes âgées, cela va être le meuble ou la vasque », nous précise l’expert silver économie et accessibilité du groupe Saint-Gobain. « À partir d'un certain âge, on passe beaucoup plus de temps dans la salle de bains. C’est toujours mieux pour une aide à domicile de pouvoir installer une personne face au lavabo pour lui faire sa toilette, éventuellement lui laver les cheveux et ainsi de suite. D’où le fait qu’une vasque avec siphon déporté pour une personne handicapée ou âgée est toujours préconisée », nous explique-t-il.
Vers des solutions modulables avec le temps
D’où l’intérêt également, tant pour les résidents que les aides à domicile, d’optimiser les espaces de rangement. « Je le dis beaucoup en ce moment aux artisans : ne pas hésiter dans l'espace de douche, à maximiser les espaces de rangement, qui manquent cruellement. Parce que cela permet effectivement à une personne en situation de handicap d'atteindre ses produits. Cela vaut aussi pour une personne âgée, mais surtout son aidant, qui va avoir un espace de travail », souligne Jean-Philippe Arnoux.
En particulier dans les douches. « Je pense à un modèle de barre de maintien de la marque Hansgrohe, Unica, qui intègre une petite tablette dedans. Il y a tout un tas de petits produits astucieux, qui sont dans les catalogues mais qu'on ne propose jamais, alors qu’ils ont la vocation d'améliorer le confort de rangement à l'intérieur », mentionne l’expert silver économie et accessibilité de SGDB France. Ce genre de solution permettrait en plus de se sécher et de ressortir de la douche en évitant les risques de dérapage.
Mais existe-il des solutions modulables avec le temps, capables de s’adapter la hauteur de l’occupant, qu’il soit âgé, en situation de handicap, ou ni l’un ni l’autre ? En ce qui concerne les toilettes, M. Arnoux nous parle du bâti-support, qui permet de régler la hauteur de la cuvette.
« Mais ce n’est pas une solution qui marche en appuyant sur un bouton, puis vous choisissez la hauteur toutes les cinq minutes », nous avertit Hubert Maître, secrétaire général de l’Association des Industries de la salle de bains (Afisb). « C’est un support que vous réglez et sur laquelle vous installez la cuvette. Vous avez la même chose pour les lavabos », détaille-t-il.
Toutefois, des solutions de bâti-support, réglables électriquement, sont entre autres disponibles chez AKW, fabricant de solutions de salles de bains accessibles aussi bien pour les séniors que les personnes en situation de handicap moteur. « C’est un bâti-support qui est monté sur une crémaillère électrique et donc vous avez deux accoudoirs. Et dans l'accoudoir, vous avez un bouton pour monter, un pour descendre. On peut y rajouter n’importe quel type de cuvette », nous présente M.Arnoux.
Le hic, c’est que ce type de bâti-support n’est pas forcément abordable.Le prix peut atteindre jusqu’à 2 000 euros.« C’est forcément plus coûteux », commente M. Maître. De plus, « ce sont des solutions mécaniques qui sont costaudes. Et les ventes sont beaucoup plus discrètes. On passe de millions de personnes à quelques milliers de personnes », indique-t-il.
D’ailleurs, si l’adaptation de la salle de bains est importante dans le logement, l’accès des personnes en perte d’autonomie est à étudier, insiste l’expert de l’Afisb. « À partir du moment où c'est possible d’accueillir une personne dans un logement, on se pose la question de la salle de bains. Mais si déjà vous pouvez pas accéder en tant qu'handicapé à votre logement, le problème ne se pose pas », appuie l’intéressé.
L’aménagement extérieur de l’entrée d’un immeuble est d’ailleurs un bon exemple. « Évidemment, une personne en fauteuil roulant ne pourra pas avancer dans une allée en gravier ou ne sera pas forcément bien stabilisée. Une personne âgée, qui n’est pas forcément assurée sur ses jambes, qui avance peut-être avec une canne, un déambulateur ou un rolator à roulettes, aura aussi besoin d'un sol stable et anti-dérapant », illustre Jean-Philippe Arnoux. Comme une rampe d’accès à un établissement recevant du public peut rendre service à une PMR, un sénior avec un appareil de maintien, mais également à un parent circulant avec une poussette.
Encourager l’accessibilité universelle
Cela nous amène à une autre question : comment adapter le logement au handicap et au grand âge, tout en répondant à l’intérêt du plus grand nombre ? C’est là que l’accessibilité universelle entre en jeu.
« L’accessibilité convient à tous les âges de la vie, à un enfant, à un adulte blessé, à n'importe qui », nous définit Hubert Maître. Et d’exemplifier : « Quand vous appuyez sur une télécommande, vous ne vous dites pas forcément "Je suis handicapé". Et pourtant cela a été développé pour les handicapés et cela vous convient. L'accessibilité, c'est l'amélioration, c'est la suppression des obstacles ».
« J’ai toujours fait une différence subtile entre tout ce qui est notion d'accessibilité au logement et d'adaptation fonctionnelle du logement », distingue de son côté Jean-Philippe Arnoux. L’expert de SGDB France soutient notamment que « prévoir des circulations, prévoir des commandes d'éclairage, prévoir une largeur de portes, permettra d'apporter une réponse au plus grand nombre ».
Dans l’industrie des sanitaires, la question de l’accessibilité universelle a bien évolué. « Quand j'ai commencé à travailler dans la salle de bains, il n’y avait que des meubles cubiques, des grosses baignoires. Aujourd'hui, il y a des produits asymétriques, grâce auxquelles on peut ajouter deux ou trois fonctions dans toutes les salles de bains existantes, si vous optimisez l'agencement. On offre les possibilités supplémentaires d'un meilleur confort dans la salle de bains », ajoute Hubert Maître.
« Ce ne sont pas des produits typés handicap. Quand vous avez un problème de handicap, vous changez de produit et vous en mettez des plus adaptés », tient-il à informer. « Si vous êtes en chaise roulante, le lavabo, il n’a pas la même forme, il accueille la personne qui passe les genoux en-dessous. Il a une profondeur avant d'arriver sur le vidage, qui pourrait vous gêner. Il y a au moins 30 cm et vous avez un accueil plutôt concave ou convexe », utilise-t-il comme exemple.
Des travaux plus faciles en rénovation ou en construction ?
Mais est-il plus évident d’adapter le logement à la perte d’autonomie - liée au handicap ou au vieillissement - en construction qu’en rénovation ?
Sachant que la loi de 2005 sur l’accessibilité des PMR et personnes âgées impose 20 % de logements adaptés au handicap. « On l'a amélioré dans le neuf, mais on l'améliore aussi dans la rénovation, à travers MaPrimeAdapt », déclare Hubert Maître, bien qu’il trouve que « dans l’existant, c’est toujours difficile, mais ce n’est pas impossible » d’autant que les architectes d’intérieurs, mais aussi des installateurs spécialisés peuvent l’appréhender.
D'autant que le neuf a ses propres freins, notamment économiques. « Il y a les contraintes des m2, qu’il n’y avait pas dans les années 1960-1970, durant lesquelles les appartements, les trois pièces étaient conçus beaucoup plus grands qu'aujourd'hui », nous rappelle le secrétaire général de l’Afisb. « Dans un monde où la contrainte monétaire n’existerait pas, on ferait des appartements plus grands pour les handicapés. Or, aujourd'hui, la tendance de fond générale, c'est de diminuer la taille des logements pour des questions de coût au m2. Si vous êtes sur Paris, vous êtes à plus de 10 000 € le m2, alors que pour qu’une personne en chaise roulante ait un confort de vie, il faudrait 7-8 m² de plus à usage équivalent et cela ferait entre 70 000 € et 80 000 € en plus », chiffre-t-il.
« Pourtant, quand vous voyez le nombre de logements qu'on construit chaque année, avant que cela ne concerne une part importante du parc, cela va demander des dizaines d'années », juge l’expert de l’Afisb. Même son de cloche chez Jean-Philippe Arnoux : « On voit l'état du marché du neuf. 90 %, voire 95 % du chantier va être de la rénovation. Donc il va falloir faire avec les salles de bains existantes qui, dans les logements anciens, n'étaient pas forcément les pièces les plus grandes de la maison ».
Il n'empêche qu'« en rénovation, que ce soit l'accessibilité des s"niors ou que ce soit le handicap, c'est plus compliqué. Vous n'avez pas les mêmes marges de manœuvre. Elles sont très vite atteintes », estime M. Maître. L’expert de l’industrie de la salle de bains prend l’exemple des douches zéro-ressaut, notamment avec les hauteurs prévues pour les réaliser dans le bâti ancien. Avec « des parquets sur lambourdes et d’autres solutions de ce genre, vous avez peut-être des possibilités », reconnaît l’intéressé. « Mais il va falloir être vigilants parce qu’il faut veiller à l'acoustique, vis-à-vis de l’appartement du dessous. Il y a des tas d'immeubles anciens qui ne sont pas assez bien insonorisés. Donc cela ne va qu'aggraver la chose », souligne-t-il.
Autres contraintes liées à l’installation de douches italiennes dans l’existant : le système d’évacuation. « En fonction de comment sont faites les colonnes d'évacuation, il faut une pente. Pour une douche à l’italienne, il faut quand même un sacré bon artisan, un bon savoir-faire, même si les industriels ont énormément progressé sur par exemple les micro-pentes, les bacs de douches, etc. Mais si c'est mal posé et si c'est surtout mal étanchéifié par rapport à la base du mur, c'est là où l'on va avoir des problèmes », renchérit M. Arnoux.
Comment faire des artisans les acteurs de cette double démarche ?
« C’est à nous aussi les distributeurs, les industriels et les artisans de créer de nouveaux besoins d'usage et à relayer les messages », en conclut Jean-Philippe Arnoux. Les professionnels du bâtiment « sont formés sur la norme handicap, mais ne le sont pas en termes d’aides à domicile, qui souffrent de l’inadaptation des logements », déplore-t-il.
C’est pour cette raison que le directeur Silver Économie et Accessibilité de SGDB France recommande aux entreprises et artisans du bâtiment de « surveiller les personnes en perte d’autonomie pour orienter après vers un ergothérapeute ». Le guide de la Maison Gobain a d’ailleurs été lancé pour mieux les guider dans leur démarche d’adaptation, et sera mis à jour pour 2024. Le timing parfait pour l’arrivée de MaPrimeAdapt’. Le guide a d’ailleurs été écrit avec les assistants à la maitrise d’ouvrage (AMO) et les ergothérapeutes .
« Tous ces règles non-écrites, on les a écrites. Typiquement, la hauteur d'assise idéale, les ergothérapeutes avaient des schémas adaptés depuis des années. Mais personne ne les avait mis dans les catalogues », note M. Arnoux. L’expert promeut particulièrement l'implication de l’ergothérapeute, « un professionnel qui connaît bien les pathologies humaines, mais qui aussi connaît leur évolutivité, c'est cela qui est le plus important ».
> Consulter le dossier spécial Bien vieillir chez soi
Propos recueillis Virginie Kroun
Photo de Une : Adobe Stock