Vous voulez du kitsch architectural ? Visitez Téhéran !
"Notre architecture est une caricature". Avant le boom pétrolier de 1970, Téhéran comptait 3 millions d'habitants. Sa population a plus que triplé depuis. Dans un pays où l'entreprise privée est bridée, où la pierre constitue encore l'un des investissements les plus sûrs et où le prix du mètre carré dans certains quartiers concurrencent presque certaines capitales occidentales, les promoteurs chassent la moindre parcelle pour y dresser des immeubles toujours plus grands, rivalisant dans le tape-à-l'oeil.
Les villas anciennes, celles qui le sont moins mais ont été confiées jadis au crayon d'architectes dans le nord de la capitale, à flanc de montagne et à l'écart du tumulte, sont phagocytées par la ville tentaculaire. Puis elles sont rasées, à l'initiative souvent de leurs propriétaires qui font de leur propre passé table rase pour vendre à des investisseurs multipliant par cinq, six ou plus le rendement financier en empilant les étages les uns sur les autres.
L'urbanisation anarchique a coûté cher au patrimoine islamique, de brique cuite rouge ou blanche, de faïence raffinée, d'huisseries ajourées. De nombreux touristes prennent sans attendre la direction d'Ispahan et Chiraz pour découvrir l'Iran de leurs rêves. Il existe certes des règles de construction. En théorie, les immeubles ne doivent pas excéder cinq étages. Mais l'appât du gain est fort. Il suffit de payer une amende, dont le montant n'a rien à voir avec la plus-value escomptée, pour bâtir plus grand.
Depuis la Révolution de 1979, "la ville a étendu ses frontières pour répondre à la croissance démographique, mais il n'y a eu aucune planification", explique l'architecte Jamshid Farahani. Environ 10 à 15% des constructions ont été conçues par des architectes. Pour les autres, les maîtres d'oeuvre ont utilisé des plans standard que l'on peut se procurer pour deux millions de rials (environ 220 dollars).
S'il reste des fonds, les ouvriers plaquent une façade pompeuse sur le bâtiment. "La municipalité ne s'intéresse pas aux façades mais seulement à la taille des immeubles ou à la hauteur des fenêtres par rapport au sol", déclare à l'AFP Taher Amir Arjmand, un responsable municipal. Dans le sud ancien de la ville, cependant, a été entreprise il y a quelques mois la restauration de bâtisses ou de places traditionnelles, dont la beauté autant que la rareté font regretter la dilapidation du patrimoine.
Plusieurs architectes évoquent le problème d'identité des Iraniens pour expliquer le mélange des styles. "Classique mais moderne", se rengorge le propriétaire d'une tour qui a poussé récemment dans le nord de la mégapole: une colonnade gréco-romaine, des éléments copiés de la cité antique de Persépolis, un jardin pseudo-chinois au décor de polystyrène, éclairé de néons bleus se réfléchissant sur l'appareillage de marbre rose et dans les vitres fumées.
"Les gens refusent qu'on leur impose une identité", dit un architecte. "Ils ont développé une aversion pour l'architecture traditionnelle, associées aux mosquées".