Le familistère de Godin, quand le royaume utopiste sort d’un poêle
Un anarchiste convaincu
À l’image de Fourier, c’est un anarchiste convaincu et sa fortune va lui permettre de donner corps à ses idées humanistes. Il rêve d’un monde ou la propriété individuelle serait abolie au profit du partage et de la redistribution des richesses. Un monde ou la seule religion serait celle de l’échange sans limites. C’est alors qu’il se lance, à Guise siège de son entreprise, dans l’une des expériences les plus folles et les plus extraordinaires qui soit. Il va traduire – et réussir - dans la pierre son utopie où son rêve d’une société suivant les principes du maître. Il faut dire qu’il a bien réfléchi à la question. Son rêve va prendre le nom de Familistère. En 1857, il rencontre deux architectes, Caillaud et Lenoir, auteurs d’un projet de "Palais social ou Palais des familles". Godin va leur demander de le mettre à exécution, en 1858, à Guise, où il emploie désormais 300 salariés. Son palais en brique déploie ses ailes sur quatre niveaux. Les trois quadrilatères, dont l’unité centrale est en retrait, sont reliés par des angles. Les trois cours intérieures sont couvertes par une verrière à l’armature métallique et en bois. Les escaliers sont logés dans les angles et de larges coursives intérieures relient tous les appartements entre eux. Chaque appartement comprend deux ou trois pièces. Les 500 logements, fait rarissime pour l’époque, disposent de fontaines à eau, de toilettes et de vide-ordures à chaque étage. Le rêve devient réalité et Jean-Baptiste Godin va pouvoir loger ainsi environ 1000 personnes. Mais ce n’est pas tout. Il ne néglige pas l’environnement puisqu’en face du Palais on trouve un théâtre, une bibliothèque, un étonnant lavoir-piscine, un économat, des magasins d’approvisionnement, une vaste crèche pour les enfants ainsi qu'un parc. Dans ses usines, on retrouve la même rigueur où il applique, avec succès, l’ébauche de ce que l’on connaîtra plus tard sous le nom de travail à la chaîne. Ici, l’architecture définit également un espace social, un mode de vie très en avance sur son temps. Mais surtout, ce modèle a parfaitement fonctionné. Jean-Baptiste Godin sera même le premier à mettre en œuvre l’association capital-travail qui permettra à ses ouvriers de devenir les véritables propriétaires de l’entreprise. Et cela bien avant les rêves de mai 1968, date à laquelle cette extraordinaire association sera dissoute. On peut, aujourd’hui encore, visiter le familistère, à Guise, dans l’Aisne. Quant à l’Entreprise Godin, elle existe toujours et, même s’ils sont fabriqués ailleurs, ses poêles son toujours les meilleurs…
Source. Bibliothèque nationale & ed.Scala. Patrimoine Industriel