L'immeuble qui fait fondre les voitures : d'où vient l'erreur de conception ?
Un article publié par CNN a récemment fait référence à un événement malheureux intervenu dans un nouveau bâtiment du 20 Fenchurch Street à Londres. Cet édifice a une façade en verre qui, à certaines heures de la journée, reflète et concentre la lumière. Cette particularité a justement eu pour effet ce jour-là de faire fondre certaines parties d’une Jaguar XJ garée à proximité. Les nombreux commentaires, publiés à la suite de cet événement, laissaient alors entendre que l’architecte, Rafael Viñoly, aurait dû anticiper et empêcher que cela se produise. Certains prétendaient que l’incident aurait pu être évité si seulement Viñoly avait embauché un ingénieur. Quoiqu’il en soit, toutes ces réactions avaient un point commun : une profonde incompréhension des processus de design.
Examinons de près chacune des hypothèses. Primo, l’architecte aurait dû anticiper le problème. Le design est à la fois un art et une science. Cela repose sur l’expérience et la discipline en matière d’analyse. Les architectes, comme dans de nombreuses professions, apprennent avec l’expérience. En plus d’utiliser des modèles d’analytiques scientifiques, ils appliquent également l’heuristique et des règles générales en se reposant sur l’expérience – qu’elle ait été acquise par eux ou par les autres. De nombreux architectes n’atteignent la maturité professionnelle que vers l’âge de 50 ans. Car accumuler l’expérience nécessaire pour répondre aux nombreux types de constructions demande du temps.
Bien sûr, l’expérience n’est adossée qu’au passé, et si nous nous reposons uniquement sur ces expériences passées, impossible de tenter quelque chose de neuf. L’enjeu réside alors dans le fait d’essayer du nouveau, afin de pouvoir constater les effets inattendus, à l’image de cette lumière qui s’intensifie et se concentre. Sur ce point, les architectes, ainsi que la sphère des designers, pourraient prendre exemple sur l’aviation commerciale. Rien n’est plus sûr que le transport aérien. Il existe de nombreuses explications. L’une d’entre elles, la plus importante, est que les pilotes utilisent des technologies de simulation de vols. Ils testent différents types de mission dans les simulateurs de vols, mettant à l’épreuve leur vol, avant même que celui-ci soit réel. Les simulateurs offrent à la fois une simulation de la réalité basée sur les lois physiques et l’opportunité d’y injecter sa propre expérience et son propre jugement.
Qu’est ce cela veut dire pour les architectes ?
Qu'ils devraient modéliser le bâtiment sur ordinateur et le virtualiser, pour leur permettre d’observer et comprendre comment il réagira. Cela leur donnera également l’opportunité de déceler des effets inattendus et de les éviter avant la construction.
Secundo, l’argument qui consiste à dire qu’un ingénieur aurait pu éviter l’incident. Et bien, un immeuble de cette taille aurait nécessité plusieurs ingénieurs. Le problème est que les ingénieurs travaillent souvent de manière isolée les uns des autres, se cantonnant à leur propre domaine d’expertise – la structure, la mécanique, l’acoustique, l’éclairage, le protection incendie, etc… Peu d’ingénieurs ont une vision d’ensemble du bâtiment. Les ingénieurs, tels que les architectes, ont tendance à se baser sur des modèles analytiques, sur des règles empiriques et enfin sur l’heuristique. Les modèles analytiques utilisés pour définir la performance de la construction reposent sur des expériences passées et, comme finalement tous modèles, ne schématisent que les pièces essentielles du problème. Un ingénieur peut certes considérer et comprendre les systèmes dont il ou elle a la responsabilité, mais dans les limites de ce qu’a défini l’architecte.
Une fois encore, les outils numériques peuvent dans ce cas contribuer à créer des représentations pouvant être partagées entre tous les membres d’une équipe de designers. Et ainsi, les aider à rapprocher leurs travaux et proposer une vision globale. Cela aurait pu par exemple permettre aux ingénieurs ainsi qu’aux architectes d’identifier le problème lié à cette concentration de lumière et, une fois encore, empêcher ces effets inattendus.
Les articles se multipliant, de nouvelles informations ont alors fait surface : le concepteur immobilier avait modifié le design afin de réduire les coûts. En fait, il avait réduit la taille des ailerons solaires dédiés à l’ombrage, privilégiant les coûts et l’effet du soleil sur le bâtiment, et pas le reflet éblouissant – bien que cela ait toute de même été évoqué. Il s’agit là d’une illustration du phénomène : considérer un seul et unique aspect du design, plutôt que d’avoir une vision panoramique. Les concepteurs immobiliers ont essayé de résoudre un problème – le coût – mais cela a provoqué des conséquences accidentelles – le reflet – en isolant le problème de la vision d’ensemble de la construction.
La leçon à retenir ?
Le design d’un édifice est un processus complexe. Il est très difficile de le comprendre globalement et de prévoir son apparence, son fonctionnement et son comportement. Il est donc aussi facile de déclencher des événements imprévus, surtout lorsque c’est nouveau et innovant.
Les outils numériques peuvent répondre à ce problème en modélisant et en virtualisant, par simulation, un édifice avant même sa construction. Autre gain apporté par ces outils, favoriser la collaboration entre tous les professionnels impliqués dans la construction, afin qu’ils aient une vision globale plutôt qu’une unique pièce du puzzle. Le design est à la fois un art – s’inspirant de l’expérience et du jugement – et une science – car se reposant sur de très rigoureux modèles analytiques. Ces outils peuvent associer ces deux mondes pour créer des prototypes pouvant alors être étudiés, débattus et analysés.
Les outils de design numériques ont la capacité de décupler l’intelligence humaine et de donner une chance aux designers d’être novateurs, tout en minimisant les risques associés à la nouveauté et au côté imprévisible. Bien loin derrière les approximations de la traditionnelle méthode empirique.
Jon Pittman